Au cours de ma vie professionnelle et personnelle, j’ai été bouleversée par la solitude émotionnelle des personnes en fin de vie.
Alors même que ce moment de leur vie peut être particulièrement terrifiant et solitaire, il nous est souvent difficile de les laisser exprimer leurs émotions, de les laisser nous parler de la mort.
J’ai donc à cœur de nous aider à accepter qu’ils fassent revenir ce sujet tabou qu’est la mort dans nos vies.
La première fausse croyance est que nous nous imaginons souvent que nous devons agir pour soulager l’autre, en particulier en lui parlant, en lui disant quelque chose.
Nous pensons par exemple qu’il faut lui remonter le moral en n’abordant que des choses « positives », ou encore, qu’il faut lui changer les idées, la rassurer en lui disant que cela va aller mieux, que ce n’est qu’un moment difficile à passer. Qu’il faut l’encourager à se battre, à lutter.
La seconde fause croyance que je rencontre beaucoup est que les émotions douloureuses comme la tristesse, la colère, la honte ou la peur sont « néfastes » et donc doivent absolument être évitées.
Nous pouvons par exemple éviter de pleurer devant un proche très malade par peur de la rendre malheureuse, de lui apporter du « négatif ».
Nous pouvons aussi imaginer que si une personne pleure lorsqu’elle évoque sa mort prochaine avec nous, alors cela veut dire qu’on lui fait du mal, qu’on la rend, là encore, plus malheureuse, qu’elle ne l’est déjà.
Et donc nous évitons autant que possible que cela arrive. Nous pouvons même craindre de précipiter la mort de quelqu’un en l’évoquant directement avec elle.
Ces croyances nous amènent à angoisser, à ressentir une pression très forte : « Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Qu’est-ce que je vais pouvoir lui dire ? »
Ce que j’ai pu comprendre en échangeant avec des personnes très malades, proches de la mort et qui acceptent cette possibilité, c’est que, le plus souvent, leur besoin réel et profond est très différent de ce que nous imaginons.
En fait, ce dont nos proches ont le plus besoin à la fin de leur vie c’est de se sentir entendu, compris, accepté, respecté, relié à l’autre.
Et pour que ces besoins soient remplis, le prérequis, qui parait si simple en apparence mais qui est si difficile à mettre en œuvre, c’est l’écoute.
Combien ont-ils été justement à me dire : « J’ai simplement besoin qu’on m’écoute ! Sans m’interrompre. Sans me dire que cela va bien passer. »
Une personne qui sait, qui sent, qui va prochainement mourir a besoin qu’on soit là psychiquement auprès d’elle, qu’on accepte d’entendre, de recevoir sa parole en se laissant toucher par ce qu’elle nous dit.
C’est ce qu’on pourrait aussi appeler la qualité de présence, c’est-à-dire la faculté d’être pleinement là, ici et maintenant, avec l’autre, avec soi aussi…
Selon la personnalité de chacun, cette présence à l’autre va se manifester de manière très variée. Il n’a pas une seule manière de faire qui serait supposément la bonne.
On peut tenter :
C’est normal.
En fait, nous sommes très nombreux dans ce cas.
Dans ces moments-là, on peut sentir comment tout notre être se refuse à envisager cette possibilité, cette possible perte.
Nous entrons en lutte intérieure car les peurs que cela réveille sont souvent nombreuses et intenses : la peur de perdre le lien avec l’autre, peur de l’inconnu, peur de la dégradation physique de l’autre, de sa souffrance, peur aussi, inconsciemment ou non, de notre propre mort. Et la liste n’est pas exhaustive.
De manière naturelle, nous avons tendance à essayer de nous protéger de la souffrance.
Soit en ne prenant tout simplement pas conscience de la réalité, cad de l’état de santé de notre proche, c’est le déni.
Soit étant dans la fuite, dans l’évitement, ce qui va nous amener à éviter d’aller la voir, ou à se tenir loin d’elle lorsqu’on lui rend visite ou encore en évitant de parler de certains sujets sensibles.
Le déni et l’évitement sont des mécanismes de défense tout à fait normaux qui cherchent avant tout à nous éviter un choc trop brutal avec une réalité très douloureuse.
Ce qui pose problème, c’est lorsque ces défenses perdurent trop dans le temps et nous amènent à faire des choix déconnectés de la réalité et de nos besoins relationnels.
Alors même que nous pouvons avoir profondément besoin de nous sentir connecté à notre proche, de lui dire notre amour, nos non-dits, de lui faire nos adieux. Le déni et l’évitement peuvent nous faire passer à côté de ces derniers moments de relation tellement précieux, y compris d’ailleurs dans le processus de deuil qui s’ensuivra.
Il me semble que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, nous allons d’abord avoir besoin de tourner notre regard vers nous-même. Et il est très important que ce regard soit le plus bienveillant possible.
Avec lucidité et auto-compassion, il s’agit de se demander :
Puis, par la suite, « De quoi ai-je besoin ? »
Lorsque l’on se rend compte que l’on ne parvient pas seule à trouver ces réponses, (et c’est fréquent) cela peut être aidant de trouver des espaces de parole avec d’autres (amis, famille, professionnels).
Souvent, ils peuvent nous aider à prendre conscience de notre ressenti.
Finalement, en donnant de l’attention à ces émotions douloureuses en nous, nous pouvons progressivement déjouer le déni et l’évitement qui se nourrit de la fuite de nos émotions.
En étant au clair avec nous-même et en acceptant nos peurs, nous devenons plus à même de dire à l’autre :
« Tu sais, j’ai peur d’être maladroit. J’ai envie d’être là pour toi, de t’aider, de te faire du bien mais je ne sais pas comment. Et parfois, l’idée de te perdre est tellement insupportable que j’ai envie de penser à tout sauf à ça…. Mais je suis là aujourd’hui. Je veux bien t’écouter si tu as envie de me parler. Dis-moi ce dont tu as besoin. Je suis là. »
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